Frontière entre Bolivie et Chili via le col d’Hito Cajón

Après une tentative de sommeil dans une chambrette bien trop froide pour manquer mon réveil, je boucle mon sac à quatre heures trente du matin à l’aide de ma frontale et m’engouffre dans le 4 x 4 par une température me donnant juste envie de m’assommer (oui, par grand froid je m’assomme, c’est moins douloureux !). Le moteur du véhicule tourne déjà et le chauffeur démarre immédiatement. Je fais la route en compagnie d’une Barcelonaise et de deux sœurs japonaises, rencontrées hier, au retour de mon circuit de quatre jours, de Tupiza à Uyuni, à la découverte des paysages sensationnels du Sud Lípez. J’envisage, à la suite de mon crochet en vue d’aller m’émerveiller du désert d’Atacama au Chili, de revenir en partie sur mes pas, franchir encore la frontière, puis filer vers Potosí et La Paz. Aussi, je vais probablement traverser trois fois ce désert bolivien. Afin de préserver mon énergie, mon temps et mon budget, j’ai trouvé à Uyuni une place dans cette auto qui me permet, pour ce second passage, de tracer et de ne compter qu’une seule nuit sur cet itinéraire. C’est donc depuis Uyuni que nous roulons ensemble, mais c’est autour du dîner, servi la veille au refuge, que nous avons fait plus ample connaissance. Nous voici à nouveau dans le 4 x 4, à peine sorties de notre courte nuit, à hésiter entre l’éveil et le sommeil, pelotonnées sous nos couches d’alpaga. Mes trois compagnes rejoignent assez vite les bras de Morphée.
La nuit est noire et dense, la piste à peine visible s’enneige davantage au fil des kilomètres parcourus. Notre guide se concentre. En quittant Uyuni, il nous a fait part de son manque d’expérience pour effectuer ce trajet. Les histoires incroyables entendues durant mon précédent tour de quatre jours affluent vers mon esprit embrumé. Ces cyclistes qui, après s’être égarés plusieurs jours par des températures sibériennes, se seraient réfugiés dans un hôtel de sel, seraient morts de froid pendant la nuit et hanteraient à présent les lieux… Ces jeunes chauffeurs imprudents, appâtés par l’argent de touristes inconscients souhaitant pénétrer la zone, en dépit de la mauvaise saison et de son climat infernal et qui, déboussolés, au sens propre comme au figuré, se seraient perdus éternellement… Cette contrée magique baigne dans une atmosphère souvent lunaire qui renforce les couleurs données aux histoires transformées, pour certaines d’entre elles, en légendes et sacralise ce périple… Le silence règne et les minutes s’écoulent dans un espace-temps incertain. Je sors mon mp3 puis sélectionne l’album Toward the Within du groupe Dead Can Dance… Ambiance… Je me laisse bercer par les cahots et la musique une petite heure. Progressivement, une lumière bleutée s’installe, réchauffée par celle des phares. Doucement, le jour fait mine de se lever. Soudain, au détour d’un virage, le soleil qui révélait le bout de ses rayons, se mire, étincelant, dans les eaux de la Laguna Blanca qui renvoie une réflexion quasi éblouissante.
Stop. Pause photo. Respirer, profondément, intensément. M’imprégner la rétine, ordonner à mes neurones d’enregistrer les ressentis éprouvés en y associant le morceau Sanvean qui se joue dans le creux de mes oreilles et ainsi, m’offrir du baume au cœur jusqu’à la fin de mes jours. Au bout, au loin, au-delà des sommets boliviens et de la région du Sud Lípez, d’éminents sommets s’enchaînent, sauf que ceux-ci se situent derrière la frontière, en territoire chilien… Je sais d’ores et déjà, qu’à l’avenir, quand j’écouterai ce morceau, je revivrai mon émotion, aux aurores, inspirant lentement cet air d’une froidure insolente, frottant mes mains jointes dans l’espoir de les tempérer, les pieds ensevelis sous la neige fraîche et moelleuse, expirant de longs nuages vaporeux, assurée de ne devoir être à aucun autre endroit du monde, à cet instant-là, que devant la Laguna Blanca.
Du refuge, il aura fallu trois tours de cadran pour arriver au bloc de béton des douaniers qui signale la frontière du col d’Hito Cajón. La douane, supposée ouvrir une demi-heure plus tard, maintiendra cependant son accès fermé tant que la neige ayant rendu les routes chiliennes impraticables n’est pas déblayée. L’attente, au bout du compte, se prolonge trois heures. De bon matin, à une altitude de quatre mille cinq cents mètres, sur ce sol balayé par les puissantes rafales d’un vent réfrigérant, elle s’avère rapidement glaciale. En l’absence de bâtiment dans lequel nous abriter et face au désert environnant, j’entreprends de me dégourdir les jambes autour du bloc. Ça me laisse toute latitude pour m’interroger (sans toutefois résoudre le mystère) sur ce qui me semble crucial au moment de la surgélation de mon cerveau, à savoir la raison de la présence d’autant de mouettes… Je regagne la voiture que le conducteur a entrepris de nettoyer et constate que les filles qui sont restées dans l’habitacle, sans chauffage, en espérant avoir plus chaud, sont transies de froid. Je papote un brin avec elles et m’apprête à ressortir, préférant marcher, bouger et respirer à l’air libre quand notre chauffeur ouvre son coffre telle la caverne d’Ali Baba. Il déploie une table, sort deux thermos de thé et café, des gobelets, du sucre, des cuillères, du pain, des brioches, du beurre, de la marmelade, du chocolat et nous offre le réconfort d’un véritable petit-déjeuner. Se dégivrer en dégustant un savoureux café bolivien, s’en imbiber les papilles et graver ce bonheur afin de cultiver les rémanences ultérieures…
Peu à peu, des véhicules viennent se garer et nous devenons finalement nombreux à constituer une queue improbable, au milieu de nulle part, dansant d’un pied sur l’autre pour nous dégeler en attendant d’obtenir, sur nos passeports, les précieux tampons attestant notre sortie de Bolivie. Les miens enfin en poche, après avoir apporté de vagues réponses à l’agent bourru, enveloppé dans un costume aux allures soviétiques, qui me demandait, le regard en biais et les sourcils froncés, vers où me menait mon voyage, je transfère mon sac et monte dans un bus. Sur les papiers distribués par le chauffeur, j’inscris mon nom, mon numéro de passeport et coche les cases utiles au service de l’immigration chilienne en l’écoutant nous annoncer la présence du second contrôle, qui comprend l’inspection de nos affaires, d’ici trois quarts d’heure. La navette pleine d’une trentaine de personnes et les derniers sacs empilés, nous franchissons la frontière et filons en direction de San Pedro de Atacama. Au fur et à mesure de la descente, la température augmente considérablement et j’ôte, une à une, mes pelures pour me présenter, une cinquantaine de kilomètres plus loin et deux mille cents mètres plus bas, au nouveau bureau de douane, suffoquant de chaleur sous mon seul tee-shirt.
Une douanière me présente maintenant le papier que je dois signer qui stipule que je n’ai rien à déclarer. Je le lis en m’efforçant de le traduire. Le deuxième chauffeur nous a bien spécifié qu’indépendamment des armes, de la drogue, des psychotropes et de multiples médicaments, la moindre pomme, comme les produits d’origine végétale crus, sans aucune exception, mais aussi parfois animale, telle que la viande non cuite et sans os (étrangement, le jambon de pays venu exclusivement d’Espagne échappe à la règle), ainsi que les produits contenant du miel, même s’il s’agit de cosmétiques, les produits laitiers non pasteurisés et les semences, en provenance de Bolivie ou d’ailleurs, sont strictement interdits au Chili. Par contre, l’alcool étant une drogue légale ne pose pas de problème… Sur la dernière portion du trajet, voyant mes compagnons de route s’empiffrer de leurs denrées, j’ai gloutonné ma banane et grignoté, au cas où, mes biscuits, mais c’est seulement, alors que mon sac-à-dos glisse sous le scan, que je réalise que j’y ai laissé un pochon de feuilles de coca… Bah vi, je suis addict aux tisanes ! Ah mince, crotte de biquette qui pue le bouc… J’explique donc à la dame en bel uniforme qui me prête une oreille fort attentive (dois-je le préciser ?!), tapotant mes tempes afin d’appuyer mes propos, que je les consomme pour lutter contre le soroche, soit le mal d’altitude. À mon grand étonnement, malgré toutes leurs restrictions, étant donné la petite quantité que je transporte, elle se montre plutôt compréhensive et, sans m’infliger d’amende, me laisse passer en emportant mon pochon… ¡ Muchas gracias señora !
Désormais, il ne me reste qu’à découvrir, à la croisée de la Bolivie, du Chili et de l’Argentine, cette fabuleuse ligne volcanique aux innombrables trésors que constitue le mythique et si aride désert d’Atacama… ¡ Adelante !
Bonjour,
Dans quelle agence a tu reserver le chauffeur qui t’as permis de traverser la Bolivie ?
Merci
Mira
Bonjour Mira,
Je n’ai pas pris de chauffeur pour traverser la Bolivie, je me suis débrouillée seule de Santa Cruz de la Sierra à La Paz en empruntant principalement des bus locaux.
En revanche, si ta question concerne davantage la traversée du Sud Lipez, je suis passée par différentes agences vu que je l’ai traversé plusieurs fois.
1/ La première fois, assurément la plus qualitative, fut de Tupiza à Uyuni, en 4 jours avec seulement 4 passagers grâce à l’agence « La Torre Tours » située avenida Chichas n° 220 à Tupiza. La demoiselle à l’accueil parle français, ce qui peut être pratique pour certains afin de détailler l’ensemble des prestations. Nous avions comme chauffeur Edwin qui était super ainsi qu’Agustina comme cuisinière. Le tour avait coûté 1300 bs tout compris (le coût aurait été de 1200 bs avec un passager supplémentaire). À cela il fallait ajouter 211 bs dont 150 bs pour l’entrée de la réserve et l’entrée des autres sites et aussi la douche chaude dans un des hôtels de sel où il était possible de l’envisager sur le parcours.
2/ Vu que je souhaitais faire un crochet par le désert d’Atacama au Chili, j’en avais déjà discuté avec la jeune fille de l’agence de Tupiza et elle avait demandé à Edwin de me déposer, à la fin du tour de 4 jours, dans une agence qui disposait d’une place dans un véhicule pour une traversée plus directe avec seulement une nuit à la « Villa Mar ». Il s’agissait de l’agence « World White Travel » située avenida Ferroviaria à Uyuni. Le trajet m’avait coûté 350 bs tout compris (nuit, repas et transfert ensuite avec le bus à la frontière puisque le chauffeur du 4x4 ne franchissait pas la frontière et repartait avec d’autres passagers venus du Chili en sens contraire).
3/ J’ai réalisé un nouveau tour de San Pedro de Atacama à Uyuni, beaucoup moins qualitatif que le premier, sur 3 jours avec 5 passagers cette fois en plus du chauffeur. Nous n’avions pas de cuisinière et le chauffeur, bien que sympa, était clairement moins investi qu’Edwin. Aucun souci du point de vue de la conduite mais il nous a expliqué bien moins de choses sur le trajet et il avait tendance à trainer la patte… De plus, la veille de notre retour à Uyuni, les chauffeurs des différentes agences qui étaient réunis à l’hôtel de sel ont cherché à nous arnaquer. Prétextant une manifestation qui avait lieu à Uyuni, ils nous ont expliqué qu’il était impossible de rentrer dans la ville sous peine de se faire caillasser et de rester bloqués plusieurs jours. Nous devions, selon eux, dégainer 250 $ chacun pour qu’ils nous emmènent directement à Potosi. Sans réseau, il était difficile de vérifier ce qu’ils nous disaient et nous n’avions pas d’infos non plus auprès des voyageurs croisés qui arrivaient d’Uyuni en sens inverse. Nous avons décidé de ne pas suivre leurs indications qui nous semblaient de l’ordre du traquenard. Perso, je souhaitais faire halte à Uyuni et je n’avais pas envie de me propulser aussi vite sur Potosi et encore moins de sortir une telle somme pour un trajet qui m’aurait coûté une poignée de bolivianos en bus local. Bref, nous avons insisté pour qu’ils remplissent leur contrat et nous déposent tous, comme prévu, à Uyuni. Au final, aucun soucis pour entrer dans la ville et aucun mouvement social… C’était bien tenté pour se remplir les poches de dollars ! Ce dernier tour avec l’agence « Towanda turismo » située rue Gustavo Le Paige à San Pedro de Atacama (que je ne recommande donc pas !) à coûté 95000 pesos sans l’entrée de la réserve et les autres sites.
Espérant t’avoir apporté des infos qui te seront utiles pour établir ton parcours, je te souhaite une merveilleuse année et un formidable voyage sur les routes boliviennes !
merci Sev pour les infos ! Bonne année à toi aussi et tous mes voeux pour 2019 !
Je prévois de partir de l’Argentine au chilie puis la Bolivie.
Tes indications me donne une bonne idée de ce que je dos preparer.
D’après ton experience est ce que ca craint de voyager seule en tant que femme en Amérique du Sud ?
Merci
Mira
Merci Mira pour tes vœux.
Vaste question que celle de la sécurité en voyage, qui plus est pour une femme seule… Je dirais qu’elle dépend de plusieurs facteurs :
– La chance, certes… Mais je pense qu’elle-même dépend d’autres facteurs, notamment de notre manière d’aborder le monde. Quelqu’un pétri de peur va sans doute attirer ce qu’il redoute et ce qui conforte ses croyances. Non seulement la peur n’évite pas le danger, mais probablement même, que dans une certaine mesure, elle le provoque…
– Ton expérience de vie, qu’elle soit liée à ton âge (bien qu’il ne garantisse pas l’acuité, la juste analyse et les bonnes décisions à prendre), à tes voyages précédents, ou à tout autre apprentissage dont tu as su tirer des conclusions appropriées, cette expérience peut concourir à te rendre vigilante en ayant un poil de discernement face aux situations, rencontres, types et horaires de transports etc.
– Tes choix de destinations enfin, car sans vouloir être naïfs, ni verser dans l’approche anxiogène du genre « le monde est dangereux », il y a des réalités indéniables qui informent quant à la dangerosité d’un pays plutôt qu’un autre, elles-mêmes liées à la situation politique, économique et sociale ou encore aux mœurs, à la culture du pays…
Donc, sans vouloir te dire qu’il n’y a pas de danger et sans vouloir tomber dans une peur imbécile… Il est évident qu’il te faut rester prudente tout en sachant profiter des joies que te procurera ce périple. C’est un juste équilibre à trouver qui participe au grand plaisir de voyager seul(e) car on apprend beaucoup sur soi. Il ne s’agit pas de ne pas avoir peur, mais de faire de cette peur une force, celle qui te permettra d’éveiller tes sens et qui t’aidera à ne pas te mettre dans des situations délicates ou à t’en sortir et qui, finalement, renforcera ta confiance en toi.
Quand on voyage, on se rend bien compte que le monde n’est pas si dangereux qu’on pourrait (ou voudrait) le croire si on restait scotché derrière un écran de TV à regarder tous les conflits en boucle sur les chaines d’infos, mais il existe pour autant toujours des risques. Sans doute les mêmes qu’en bas de chez toi… Il nous faut donc rester en alerte, mais c’est ainsi que nous apprenons à ressentir, à nous écouter et à faire confiance à nos intuitions. Ton corps saura souvent mieux te dire si tu cours un danger que ton mental… Écoute-le, branche-toi sur tes ressentis, ils sont fiables !
Pour parler franchement, je me suis bien davantage sentie en insécurité en Amérique latine qu’en Asie (où malgré une augmentation de la petite délinquance je n’ai jamais eu l’impression de risquer ma peau en grimpant dans un taxi clandestin !). J’ai donc pris davantage de précautions et je me suis bien informée (sur les transports en Équateur par exemple…). C’est d’ailleurs en Amérique latine que je me suis fait agresser, mais c’est aussi là que j’ai vu beaucoup de solidarité et j’ai été très touchée par tous les gens qui me sont venus en aide. Comme quoi… Ce qui peut sembler une mauvaise expérience peut aussi se révéler réconfortante (et toujours riche d’enseignements) !
Alexandra David-Néel disait « la route ne me semble captivante que si j’ignore là où elle me conduit… ». Osons aller au-delà de nos appréhensions, tant qu’elles ne nous empêchent pas, elles ont beaucoup à nous apprendre… Bien plus que nous l’imaginons… Et finalement, nous permettent d’aller plus loin !